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"Tan querida Tánger" le Blog de Brahim MARRAKCHI
29 septembre 2009

Tanger, une "croissance" contre le développement durable : Le cas des forêts

En droit international de l’environnement, les forêts disposent d’une considération remarquable, et cela en dépit de l’absence d’une convention-cadre internationale portant exclusivement sur le sujet. On peut citer plusieurs textes et conventions qui s’attachent à assurer l’avenir des forêts, à titre d’exemple : la Convention sur les zones humides (Ramsar – 1971), la Convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages menacées d’extinction (Washington – 1973), le Plan d’Action Forestier et Tropical (1985), la Convention sur la diversité biologique (Rio de Janeiro – 1992), l’Agenda 21 dont le chapitre 11 s’intitule modestement « lutte contre le déboisement », la Convention de lutte contre la désertification dans  les pays gravement touchés par la sécheresse et/ou la désertification, en particulier en Afrique (1994), etc. Parallèlement à ces textes internationaux, il existe toute une série d’organisations ayant pour mission la protection des forêts : le Comité des forêts de l’Organisation des Nations-Unies pour l’Alimentation et l’Agriculture (FAO), le programme « homme et biosphère » de l’UNESCO (1970), l’Organisation Internationale des  Bois Tropicaux (1986), le Réseau International des Forêts Modèles (1992), le Forum des Nations-Unies sur les Forêts (2000), le Partenariat de Collaboration sur les Forêts (2001), la Banque Mondiale, etc.

Bien que le Maroc soit membre et collaborateur avec plusieurs de ces organisations, et malgré une protection interne des forêts au niveau législatif, les forêts n’arrivent pas à résister face au processus d’urbanisation, notamment lorsqu’il s’agit des projets touristiques. Le Maroc est l’un des pays en développement (PED) où l’enjeu de la protection des forêts est désormais majeur. Pendant que les sols forestiers augmentent de 0,1% dans les pays développés, ils diminuent chaque année de 0,5% dans les PED.

Au  niveau de Tanger, la situation est extrêmement dangereuse. Les forêts dans l’aire d’influence de la ville connaissent un processus de dégradation accéléré. Pourtant, les forêts assurent un rôle fondamental dans la protection de l’environnement, particulièrement le maintien de grands équilibres de l’écosystème terrestre. Elles sont par excellence les principaux réservoirs de la diversité biologique terrestre. Si on veut, par exemple, protéger cette diversité, il ne suffit pas seulement d’interdire temporairement ou définitivement la chasse de certaines espèces ; mais on doit conserver les forêts où ces espèces peuvent se nourrir et se reproduire. Les forêts fournissent à la ville un élément essentiel à la vie : le bois. Contrairement aux matériaux artificiels, le bois à l’heure du développement durable est devenu un élément incontournable. En outre, ce secteur est la source principale de vie de centaines de familles à Tanger. On peut ajouter d’autres fonctions, comme, par exemple la protection contre la désertification par la fixation des racines et l’amélioration de la qualité des nappes phréatiques. Les forêts sont également une des meilleures protections contre le réchauffement planétaire et le changement climatique, car elles absorbent les gaz créant l’effet de serre. Effectivement, la déforestation est la deuxième cause de réchauffement de la planète au niveau mondial après la consommation d’énergie.

Donc, quand on détruit les arbres, on est en train de détruire la fonction écologique et la fonction socio-économique des forêts. Nous sommes en train de détruire l’écosystème déjà fragile de la ville. Ce processus de dégradation a commencé depuis les années 1970. L’étalement urbain incontrôlé et le "développement" touristique de la ville ont eu, dans plusieurs cas, comme conséquence la dégradation de plusieurs forêts qui constituent le poumon de la ville. Plusieurs grands projets touristiques se font au détriment de l’espace végétal de la ville. Aujourd’hui la forêt de Dchar Ben Diban et aussi de la zone Plaza Toros fait partie de l’histoire de la ville. Paradoxalement, c’est au sein de ces deux unités spatiales qu’il y’a une très forte densité, une contigüité intensive des constructions et une carence au niveau des espaces verts. La forêt de Mesnana a perdu plus de 80% de sa superficie ces dernières années. Elle est aussi en voie d’extinction à cause d’une urbanisation souvent non structurée.

La petite forêt qui reste de la grande forêt de Malabata a disparu totalement au profit des projets touristiques qui sont en cours de construction (hôtels, villas, …). La forêt de M’risa située à environ 3 km au nord-ouest de la ville disparaîtra totalement dans les prochaines années, à cause des projets touristiques prévus dans cette zone. Elle est totalement dévastée, et les travaux d’aménagement ont commencé en 2008. Curieusement, à cause d’un incendie provoqué, cette même forêt a perdu en juin 2006 deux hectares de sa superficie constituée essentiellement de pins d’Alep et d’un dense couvert d’essences secondaires. Toujours dans la même zone, la forêt de Mnar, plantée les premières années de l’indépendance, risque de connaître le même sort. D’ailleurs, elle a perdu ces dernières années plus de 50% de sa superficie. En juin 2007, un incendie provoqué a ravagé plus de 3 hectares de son couvert forestier.

Sur les côtes atlantiques, les perspectives sont tristes. Une grande partie de la forêt R’milat (site de Perdicaris) est déjà dévastée, le reste risque aussi d’être largement dégradé. La forêt de Mediouna est en train de perdre 34 hectares au profit du complexe résidentiel de "luxe" « Star Hill ». La forêt Diplomatique, qui s’étend sur une superficie de 1900 hectares, endure une dégradation en crescendo depuis certaines années. Plus de 230 hectares de cette forêt sont en train d’être dévastés pour abriter des résidences touristiques et des hôtels. Dans la même zone, d’autres projets sont prévus pour la période 2008-2010 et dont les retombées en termes de valeur ajoutée restent encore discutables. Etrangement, en juin 2005, 60 hectares de la forêt Diplomatique ont été ravagés par le feu, sachant que cette forêt est la plus riche en espèces sylvestres, comme : le chêne liège, l’eucalyptus, l’acacia et le pin.

En fait, aucun projet touristique ne peut justifier la destruction d’une forêt. Plus grave encore, lorsqu’il s’agit de la gestion du secteur environnemental, on constate un non-respect total des principes du droit de l’environnement, comme le principe de prévention qui exige de savoir quels sont les impacts nocifs du projet sur l’environnement et sur la santé avant de commencer les travaux ; le principe de précaution qui consiste à tenir compte du risque d’atteindre à l’environnement dans les décisions d’exercer ou non une activité ; ou encore le principe du pollueur payeur qui consiste dans l’une de ses manifestations pour le pollueur à remettre en état les lieux qu’il a pollués, par exemple : l’obligation de replanter dans le cas de l’abattage des arbres.

Les autorités locales doivent agir à bon escient. Elles se trouvent aujourd’hui dans l’obligation de protéger ce qui reste du patrimoine forestier de Tanger, bien-sûr en étroite collaboration avec le gouvernement et les  acteurs de la société civile. Le développement économique doit être conditionné à celui environnemental. Les forêts doivent faire l’objet d’une protection et d’une gestion intégrée durable. Il faut assurer un développement durable au profit des générations futures. A ces niveaux, les ONG doivent prendre l’initiative d’élaborer et de présenter au gouvernement un projet de protection des forêts de R’milat et de la Diplomatique en tant qu’élément de patrimoine culturel et naturel de l’humanité. La Convention pour la protection du patrimoine mondial, culturel et naturel, adoptée par l’Unesco le 23 novembre 1972, permet cette protection si les Etats inscrivent les zones désignées sur la liste du patrimoine mondiale.

La morphologie urbaine de Tanger est en train de passer du monocentrisme vers le polycentrisme maillé en raison des projets de construction de trois nouvelles villes satellites (Chrafate, Gzenaya El Jadida et Ksar Sghir). Il faut dès maintenant prévoir des ceintures vertes (Green belt) qui séparent les trois nouvelles villes de la ville-mère.

Source : B. MARRAKCHI, « Tanger une "croissance" contre le développement durable : Le cas des forêts », in La Chronique, Journal Hebdomadaire du Nord, Maroc, N°393, 11 Juillet 2009, p.8

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